XVI

Tout éveillé, je rêve et je me raconte comment ce serait si elle était en vie. Je vivrais avec elle, petitement, dans la solitude. Une petite maison, au bord de la mer, loin des hommes. Nous deux, elle et moi, une petite maison un peu tordue, et personne d’autre. Une petite vie très tranquille et sans talent. Je me ferais une âme nouvelle, une âme de petite vieille comme elle pour qu’elle ne soit pas gênée par moi et qu’elle soit tout à fait heureuse. Pour lui faire plaisir, je ne fumerais plus. On vaquerait gentiment, elle et moi, aux besognes du ménage. On ferait la cuisine avec de petites réflexions genre « je crois vraiment qu’un peu, mais très peu, de chicorée améliore le café » ou « il vaut mieux saler pas assez que trop, on est toujours à temps ». Avec la cuiller de bois, je ferais des tapotements, comme elle. Deux vieilles sœurs, elle et moi, et pendant que l’une égoutterait les macaronis, l’autre râperait le fromage. On balayerait tout en bavardant, on ferait briller les cuivres et, quand tout serait fini, on s’assiérait. On se sourirait d’aise et de camaraderie, on soupirerait de bonne fatigue satisfaite, on contemplerait avec bonheur notre ouvrage, notre cuisine si propre et ordonnée. Par amour et pour lui plaire, j’exagérerais ma satisfaction. Et puis on boirait du café chaud pour se récompenser et, tout en le sirotant, elle me sourirait à travers ses lunettes heurtant le bord de la tasse. On aurait quelquefois des fous rires ensemble. On se rendrait tout le temps des services souriants et menus. Le soir, après le dîner et lorsque tout serait bien en ordre, on causerait gentiment au coin du feu, elle et moi, nous regardant gentiment, deux vraies petites vieilles, si aimables et confortables et sincères, deux petites reinettes, deux malignes et satisfaites, avec pas beaucoup de dents mais bien coquines, moi par amour cousant comme elle, ma Maman et moi, copains jurés, causant ensemble, ensemble éternellement. Et c’est ainsi que j’imagine le paradis.

J’entends ma mère qui me dit avec son sourire sage : « Cette vie ne te conviendrait pas, tu ne pourrais pas, tu resterais le même. » Et elle ajoute ce qu’elle m’a dit tant de fois en sa vie : « Mon seigneur un peu fou, mon prince des temps anciens. » Elle dit encore, en se rapprochant : « Et puis, je n’aimerais pas que tu changes, ne sais-tu pas que les mères aiment que le fils soit supérieur, et même un peu ingrat, c’est signe de bonne santé. »

Je lève la tête, je me regarde dans la glace et, tandis que parle le bonhomme de la radio, je me regarde écrire, doux, sage comme une image, avec une figure soudain presque gentille, absorbé et tranquille comme un enfant occupé par un jeu très sot et défendu, absorbé, privé de poids, souriant un peu, tenant légèrement la feuille de la main gauche tandis que la droite trace enfantinement. Ce type qui écrit avec tant de soin et d’amour et qui va mourir bientôt, j’ai un peu pitié de lui.